Les vignes s’affichent en ligne

Face à la pandémie de Covid-19, le secteur viticole a su s’adapter pour profiter de l’accélération du commerce en ligne (+ 15 % par rapport entre 2019 et 2021). Pour autant, peut-on véritablement parler d’une réorganisation pérenne de la filière ? Réponse dans le vignoble bordelais, où le numérique ouvre la voie des opportunités.

6 minutes de lecture

La route serpente entre les vignes du nord-est de la Gironde, non loin de la Dordogne voisine. Au bout, le Château Vieux Mougnac veille sur les terres qui portent son nom. À sa tête, Sylvie Milhard-Bessard. Cette ancienne comptable, qui accueille les visiteurs avec la convivialité et le sourire de ceux qui ont l’habitude de recevoir, parle de son terroir avec fierté. Ici, avec son mari Michel, elle commercialise son vin, mais elle évoque aussi les valeurs et l’histoire qui l’ont façonné. Celles de sa famille, de son arrière-grand-père, de sa grand-mère pendant la guerre, mais aussi et surtout celles de ses parents, « qui ont osé lancer la production en bouteille à une époque où les vignerons étaient payés sur la quantité plus que sur la qualité. »

Comme partout ailleurs, la crise sanitaire a été un choc dans le Bordelais. « Nous avons vu les restaurants fermer, les salons s’annuler les uns après les autres et les clients disparaître. Nous ne pouvions plus recevoir au château. J’ai vraiment eu l’impression que tout pouvait s’arrêter, se remémore Sylvie. C’était pire qu’un épisode de gel. Un gel, vous avez une récolte qui est détruite mais vous avez des stocks, vous vous débrouillez comme vous pouvez. Là, nous ne savions pas où nous allions. Et puis, il fallait une rentrée d’argent pour payer le matériel, les ouvriers, le personnel. Oui, la Covid-19 était là, mais la vigne continuait à pousser ! »

Une nouvelle clientèle

Pour faire face à la crise, Sylvie décide de mettre en place un site Internet. Malgré son manque de connaissances dans ce domaine – « Un viticulteur gère énormément de choses et le numérique peut rapidement ne pas apparaître comme une priorité » –, la viticultrice a pu compter sur une formation complète dans le cadre des Ateliers Numériques de Google, un programme conçu pour accompagner professionnels et particuliers dans le développement de leurs compétences numériques, en ligne ou dans des lieux dédiés. Grâce aux sessions avec sa coach Anne, Sylvie découvre une nouvelle clientèle. « Rapidement, des clients sont arrivés via une suggestion sur Google Maps, reprend la propriétaire. Avant, c’était peu fréquent. Maintenant, c’est une constante. »

Une nouvelle réalité qui se retrouve dans les chiffres. Le baromètre de l’agence Sowine révèle que 46 % des Français ont déjà acheté du vin sur Internet en 2021 contre 31 % en 2019. « La Covid-19 a agi comme un accélérateur pour le commerce en ligne du vin. Beaucoup de vignerons n’avaient pas de boutique en ligne et en ont créé une pendant la crise. Ils avaient perdu des marchés, dans la restauration notamment, et étaient soucieux de développer leur clientèle auprès des particuliers », détaille Christophe Chateau, directeur de la communication du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB). Dans ce contexte de crise sanitaire, l’achat sur Internet s’est banalisé alors que les spécialistes du secteur constatent un rajeunissement de leur clientèle, plus à l’aise avec les outils numériques et qui ne recule plus devant une simple description du goût, de la robe et des arômes au moment de valider son panier. Le numérique semble s’installer aujourd’hui comme un moyen à part entière pour assurer la visibilité de sa production. « Cela apparaît comme un élément décisif pour se faire connaître, certifie Sylvie Milhard-Bessard. Je pense qu’il faut préserver notre savoir-faire et nous servir de ces nouveaux outils pour communiquer. Ce n’est pas du tout contradictoire. » Même son de cloche du côté de Christophe Chateau, pour qui évolution numérique et terroir vont de pair. « Ce n’est pas le commerce physique contre le numérique, mais le physique avec le numérique », précise-t-il.

"La Covid-19 a agi comme un accélérateur pour le commerce en ligne du vin. Beaucoup de vignerons n’avaient pas de boutique en ligne et en ont créé une pendant la crise."

Christophe Chateau

Une complémentarité à créer

Lorsqu’il reçoit dans ses bureaux du centre-ville de Bordeaux, Thomas Moussie partage ce constat. « Je crois qu’aujourd’hui, les acteurs du monde du vin mesurent l’importance de ce virage en ligne, détaille-t-il. Certes, la relation de confiance est plus difficile à installer sur Internet, mais nous pouvons créer une complémentarité entre la rencontre physique, qui génère cette confiance, et l’acte de vente 100 % dématérialisé. » Depuis vingt-deux ans, Thomas Moussie est dans la tonnellerie. Pour répondre aux nouvelles attentes des consommateurs en matière d’arômes, il a inventé un procédé de fabrication des fûts dans lequel des pierres volcaniques chauffées remplacent les flammes. Ce dernier, plus écologique, a entraîné la création de sa propre structure, Surtep, en 2018. Si son affaire se porte bien et a été relativement épargnée par la crise sanitaire, Thomas Moussie est lui aussi convaincu que le monde du vin doit opérer sa transition vers le numérique.

C’est pour cela qu’il s’est également tourné vers les Ateliers Numériques de Google. Avec l’aide de son coach, il actualise sa page professionnelle, améliore sa visibilité et son référencement. « Des optimisations que nous ne savions pas faire, confesse-t-il. L’aspect numérique, du webmarketing aux réseaux sociaux, est fondamental pour nous. Mais c’est un véritable métier et ce n’est pas pour rien qu’il y a tout un écosystème autour. »

L’écosystème se mobilise

Cette appétence renforcée pour l’achat en ligne des consommateurs a ainsi accéléré la mutation du secteur. « La demande était forte du côté des vignerons et nous nous sommes rendu compte qu’il fallait développer les compétences numériques de nos professionnels, analyse Christophe Chateau, qui a dû œuvrer en douceur. Au début, on me disait : “Internet, ce n’est pas mon métier. Je ne sais pas faire.” Mais nous y sommes allés progressivement, en travaillant d’abord avec des appellations prestigieuses du côté de Pessac, Saint-Émilion et dans le Médoc. Aujourd’hui, tout le secteur viticole se rend compte de l’importance du numérique. » Un constat partagé par Jessica Milliat, responsable du programme Google Ateliers Numériques Région Nouvelle-Aquitaine : « La Nouvelle-Aquitaine est un territoire très touristique avec des problématiques spécifiques et internationales pour lesquelles le numérique peut se révéler très utile. Nous assistons à une accélération de la demande en matière d’accompagnement et de formation aux outils numériques dans plusieurs secteurs comme la viticulture bien sûr, mais aussi le tourisme ou l’hôtellerie. Nous proposons donc une approche verticalisée de certains des contenus Ateliers Numériques à destination des professionnels de ces secteurs pour développer leur visibilité en ligne et les accompagner vers l’e-commerce. »

"Je crois qu’aujourd’hui, les acteurs du monde du vin mesurent l’importance de ce virage en ligne."

Thomas Moussie

Autre structure impliquée pour outiller les professionnels du secteur : Bernard Magrez Start-Up Win, le premier incubateur « 100 % vin, oenotourisme et digital », précise Sébastien Labat, son directeur. Une idée dudit Bernard Magrez, propriétaire de 42 vignobles à travers le monde et mécène réputé dans la région. À l’ombre du château le Sartre, de jeunes pousses prometteuses sont abritées depuis janvier 2021 dans un espace de “coworking” 5 étoiles, aux abords de 50 hectares en appellation Pessac-Léognan. « Start-Up Win aide les entrepreneurs qui innovent dans l’univers du vin, via le numérique, mais aussi à travers les recherches technologiques », détaille Sébastien Labat. Surtep, l’entreprise de Thomas Moussie, faisait d’ailleurs partie de la première promotion : 25 startups sélectionnées par un jury de professionnels locaux. Les lauréats du Top 10 ont bénéficié d’un suivi d’un an, adapté à la maturité de leur projet. Ils ont ainsi pu profiter de l’accompagnement des Ateliers Numériques de Google, partenaire du projet, et de la possibilité de tester leurs innovations en conditions réelles dans les vignes de ce domaine, classé parmi les grands crus de la région.

La promotion 2022 s’annonce encore plus ambitieuse, avec pas moins de 47 projets, comme Mondin, qui fabrique une alternative au cuir à partir du marc de raisin, ou WineProtect, qui lutte contre le gel avec des lampes alimentées par énergie solaire. De son côté, Sébastien Labat regarde vers l’avant. Pour lui, ces actions d’accompagnement ne bénéficieront pas seulement aux entrepreneurs de la région bordelaise, mais également à « des acteurs ou des consommateurs issus d’autres régions, d’autres pays. » Une volonté de dépasser les frontières traditionnelles que Sylvie Milhard-Bessard a bien comprise. Depuis quelque temps, elle anime des lives pour présenter son vignoble à ses abonnés sur les réseaux sociaux. « Pourquoi se priver d’une telle visibilité ? », sourit-elle.


3 questions à Christophe Chateau, directeur de la communication du CIVB

2:02

Histoires associées