Se former à s’informer

Deux acteurs de proximité, les associations Génération Numérique et Les Petits Débrouillards, œuvrent pour aider la nouvelle génération à décrypter l’information. Et accompagnent les jeunes pour qu’ils démêlent le vrai du faux dans l’actualité sans tomber dans le piège des fake news, ou infox.

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« Alors, selon vous, cette vidéo est-elle réelle ou est-ce un fake ? » Dans la salle de classe du lycée Jean-Paul-II de Denain, dans le département du Nord, Christophe Hénaut, formateur au sein de l’association Génération Numérique, interroge l’assemblée. En question, les images du lancement de la fusée Falcon 9 par la société américaine SpaceX depuis la base de Vandenberg en Californie, utilisées dans le cadre du programme proposé par l’association Génération Numérique. Alors que 70 % des moins de 35 ans pensent être confrontés plus d’une fois par mois à une fake news, l’association agit dans les écoles primaires, collèges et lycées depuis 2019 pour donner aux jeunes tous les outils pour les débusquer.

Et ce jour de septembre, les 20 élèves de la classe de troisième sont sûrs d’eux : la vidéo est fausse. « Posez-vous les bonnes questions, insiste l’intervenant. Qui, quand, où, pourquoi ? » Un seul garçon pense qu’elle est vraie. Il sera le seul à avoir la bonne réponse. Le « défi vérité » proposé par Christophe Henaut a encore fait ses preuves : la véracité des informations est devenue un véritable enjeu de société pour les citoyens, et notamment les plus jeunes, pour lesquels il n’a jamais été aussi difficile de se forger une opinion.

Chasseur d’infox et Complots rigolos

Fondée en 2003, face au constat d’une fracture numérique en France, Génération Numérique lutte notamment contre la prolifération des fake news. « À l’époque, c’était plutôt Raël et les scientologues, alors qu’aujourd’hui on parle plutôt de Daech, du « grand remplacement » et des antivax, mais aussi des influenceurs et des arnaques », explique Cyril di Palma, délégué général de l’association. Avec pour cœur de cible les scolaires, Génération Numérique a mis en place deux programmes : « Chasseur d’infox » du CM1 à la cinquième, et « Complots rigolos », de la quatrième à la terminale, créés notamment avec le ministère de l’Éducation nationale et soutenus par Google.org, la branche philanthropique de l’entreprise. Ce dernier programme se compose de trois séances de 2 heures, abordant des sujets aussi importants que les biais de perception (illusions d’optique par exemple), les illusions auditives, les faux dilemmes, les analogies douteuses, la généralisation, les biais de confirmation ou encore les biais de corrélation et de négativité liant deux événements qui n’ont aucun rapport, comme la fameuse théorie voulant que la tartine tombe toujours du côté de la confiture.

Mais pourquoi les jeunes sont-ils particulièrement sensibles aux fausses informations ? 45 % des 18-24 ans affirment utiliser Internet et les réseaux sociaux comme source principale pour s’informer sur l’actualité. 28 % des interrogés de cette même tranche d’âge font plus confiance à une information relayée sur les réseaux sociaux qu’à celles qu’ils trouvent dans les médias. Léonie, 14 ans, fait partie de cette génération qui ne découvre plus les informations au JT de 20 h mais sur « Instagram, Snapchat et TikTok ». Elle est dans le public cible : selon le Conseil national d’étude des systèmes scolaires, près de la moitié des personnes croyant à plusieurs thèses complotistes affirment s’informer d’abord via les réseaux sociaux, soit deux fois plus que celles qui n’y croient pas du tout (24 %).

« L’intelligence n’empêche pas la désinformation, appuie Christophe Hénaut. Le but est de faire naître un état d’esprit, de réactiver leur esprit critique, mais dans le bon sens, en retournant les armes des complotistes contre eux. » Pour cela, l’association encourage les jeunes à remettre en cause ce qu’ils lisent ou entendent, par le biais de la sensibilisation. Difficile par exemple d’accepter pour ces collégiens issus de la génération de « l’image vérité » que leur cerveau, parfois, commet des erreurs.

« On ne voit pas passer les 2 heures, c’est sympa, on apprend des choses, dit Léonie en pointant le dynamisme contagieux de Christophe. Je vais peut-être changer mes habitudes. » Comme quelques autres des 40 000 élèves sensibilisés chaque année, elle repartira, pour commencer, avec une liste de créateurs YouTube qui décryptent l’actualité, recommandés par Génération Numérique, comme HugoDécrypte. Pour 2022, un cursus d’éducation au numérique proposé par l’Éducation nationale est à l’étude, dans le cadre de la loi confortant le respect des principes de la République.

"Le but est de faire naître un état d’esprit, de réactiver leur esprit critique."

Comprendre, analyser, expérimenter

Une autre association œuvre elle aussi pour aiguiser l’esprit critique des plus jeunes : chez Les Petits Débrouillards, on s’appuie sur l’expérimentation. Comme avec l’atelier de formation « Il paraît que », soutenu par Google.org, à hauteur d’1 million d’euros sur 3 ans. Il s’adresse aux 11-14 ans, pour que les jeunes apprennent à démêler le vrai du faux sur Internet et construisent leur opinion de façon éclairée. Dans ses 70 antennes régionales, l’organisme propose aussi des expositions, des livres, et surtout des formations civiques et citoyennes, organisées par ses 2 000 salariés et près de 500 bénévoles, comme à Maxéville, dans le département de la Meurthe-et-Moselle, le 4 octobre dernier. Rendez-vous était donné à 9 h à « La Piscine », un tiers-lieu à deux pas de Nancy, ancien dancing et club de squash, aujourd’hui bureau de travail d’une dizaine de salariés de l’association. C’est là, après un café et une séance de présentation, que 6 jeunes entre 18 et 25 ans se sont réunis pour une journée Éducomédias. Le but ? « Appliquer un regard critique et scientifique sur l’information », comme l’explique François Deroo, directeur des Petits Débrouillards : « On applique la démarche scientifique à la démarche pédagogique. La science est une manière de raconter le monde, tout comme les arts, la musique, la peinture ou l’écriture, mais aussi une façon de vivre mieux avec les autres, avec la nature, de comprendre sa culture, ses propres biais cognitifs, et d’améliorer sa vie et celle des autres. »

La vie qui, par exemple, a amené Maxime Klein, 29 ans, à quitter son poste de professeur de mathématiques au lycée pour devenir formateur depuis janvier 2020. Il est ancien scout, et cela se voit : il n’aura de cesse pendant la journée de provoquer les échanges entre jeunes, d’inclure les silencieux, et même de changer la scénographie régulièrement en bousculant les tables pour former des duos et des trios. Au mur, au-dessus des canapés et des sièges de cinéma surcyclés, une citation : « Mieux vaut avoir de bonnes interrogations que de mauvaises certitudes », mantra de l’association. La pédagogie fait la part belle à la discussion. Qu’est-ce qu’une information ? Qu’est-ce qu’un point de vue ? Qu’est-ce qu’un cadrage ? Il y a cette idée, centrale, qu’un média est un intermédiaire et que tout intermédiaire a un point de vue, une opinion, une intention. « Les jeunes doivent comprendre comment fonctionne l’information qui arrive à eux, explique François Deroo. Qui est le transmetteur ? Qui est le récepteur ? On peut développer son esprit critique comme un grand sportif, de telle manière à ce qu’il ne se fasse pas berner par des choses fausses, manipulées, ou qui viennent toucher sa sensibilité. Il y en a beaucoup qui diffusent la méconnaissance et le malheur. Ceux-là, nous les connaissons. Et la réponse à cela, c’est la culture et la science. »

À la découverte des sources

Alors que, depuis 2013, l’éducation aux médias et à l’information (EMI) est inscrite dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, 34 % des jeunes de 15-34 ans déclarent avoir bénéficié d’une action d’EMI dans le cadre scolaire, selon une étude Médiamétrie pour la direction générale des médias et des industries culturelles (ministère de la Culture). Jordan, par exemple, n’a pas eu la chance d’en bénéficier. À 21 ans, ce jeune homme, qui rêve d’être accompagnateur d’enfants en situation de handicap, est « plutôt méfiant » à l’encontre des médias. « On y voit tellement d’informations que l’on ne sait plus qui croire », dit-il. Olivia, 19 ans, actuellement en études de psychologie en vue de devenir criminologue, avoue de son côté bien souvent se contenter de « regarder sur Twitter le titre et le chapô des articles, puis lire les avis des personnes en commentaires. » Elle enchaîne : « Je ne lis pas du tout les papiers. Je ne crois pas vraiment les journalistes, ils disent surtout ce qu’ils veulent. Même les chiffres sont approximatifs, c’est pour donner un ordre d’idée. »

Maxime s’évertuera dans son cas à démontrer que toutes les sources d’information, des réseaux sociaux aux journaux traditionnels, ne se valent pas, et qu’avoir un point de vue est différent de proférer un mensonge. « Si nous formons tous un cadre avec nos doigts et que nous regardons à travers, nous verrons tous une partie différente de la pièce dans laquelle nous sommes, avance ce dernier. Personne n’a menti, mais pour autant, si je me concentre sur Olivia, aurai-je toute la vérité ? Non. On a chacun été victimes de notre point de vue. » Au fur et à mesure de la journée, Marin, 25 ans, aura appris les différences d’orientation et de ton entre journaux aux sensibilités politiques différentes. Mais aussi, au fond, le métier de journaliste, son rapport aux sources, à sa ligne éditoriale, et surtout l’existence de la loi de Brandolini, le cauchemar des combattants des fake news. Formulée pour la première fois en janvier 2013 par un programmateur italien éponyme, elle édicte que « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter une bêtise est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire. » En somme : il suffit d’une minute pour diffuser une infox, et il faut plusieurs heures pour la réfuter méthodiquement. Heureusement, certains commencent déjà tout simplement par lire au-delà du titre.

Dans cette histoire : Éducation, Médias, Partenariats, Recherche

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