Jennifer Wadsworth, coordinatrice de recherches du Centre d'intelligence artificielle (AI Center) de l'École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) et Beshad Behzadi, vice-président de l'ingénierie de Google Cloud en Suisse, entrent dans une pièce avec une bibliothèque blanche en souriant.

« Une recherche forte sur l’IA en Suisse, grâce à la formation, à l’innovation et aux partenaires »

La Suisse est l’un des plus importants sites de recherche de Google dans le monde. Un entretien avec la coordinatrice de recherches de l’AI Center de l’EPF de Zurich, Jennifer Wadsworth, et Behshad Behzadi, vice-président de l’ingénierie de Google Cloud à Zurich, sur la manière dont la recherche universitaire et la force d’innovation des entreprises œuvrent ensemble à l’ère de l’IA.

Temps de lecture : 8 minutes

Vous travaillez tous deux depuis des années sur le thème de l’intelligence artificielle (IA). Vous attendiez-vous à l’engouement suscité par les agents conversationnels utilisant l’IA ?

Wadsworth : Non, et je pense que la plupart des autres chercheurs et chercheuses ne s’y attendaient pas non plus. Depuis, la dynamique est incroyable. De nombreux scientifiques, dont certains font de la recherche sur l’IA depuis des décennies, sont surpris de voir comment, en très peu de temps, le sujet est passé d’une spécialité à l’objet d’un débat public intense, avec des inquiétudes sur les conséquences futures. Il est temps, désormais, de parler de la manière dont nous allons continuer à aborder l’IA afin que la société en profite au maximum.

Behzadi : Google effectue des recherches et travaille sur et avec l’IA depuis des années. Nous connaissions donc les possibilités. Nous avons malgré tout été surpris de la vitesse à laquelle l’intérêt s’est accru. Notre équipe Google Cloud en Suisse reçoit quotidiennement des demandes d’entreprises qui souhaitent discuter des applications possibles de l’IA. L’IA est une nouvelle étape technologique qui permet notamment d’augmenter la productivité.

Comment Google s’assure-t-il que l’intelligence artificielle est appliquée et développée de manière responsable ?

Behzadi : Nous travaillons en étroite collaboration avec des experts et expertes issus des autorités, de la science, de la société civile et de l’économie, afin de mettre en œuvre des projets ambitieux de manière responsable. Grâce à un échange permanent, nous voulons nous assurer que notre utilisation de l’IA est utile à la société. Nous sommes conscients des risques liés à l’IA. Par exemple, les algorithmes ne doivent en aucun cas diffuser de fausses informations ou violer la vie privée numérique. Comme le dit notre PDG Sundar Pichai, l’IA est trop importante pour ne pas être réglementée, et pour ne pas être réglementée correctement.

IA générative
L’IA générative est un modèle d’apprentissage automatique qui apprend à partir d’exemples et peut générer des contenus sur cette base. À partir des données d’entraînement, elle peut ainsi produire des textes, des images ou du code de programmation.
Jennifer Wadsworth, coordinatrice de recherches du Centre d'intelligence artificielle (AI Center) de l'École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), est assise, un bras appuyé sur un fauteuil, devant une bibliothèque et regarde au loin.

Jennifer Wadsworth dirige la coordination de la recherche du Centre d'intelligence artificielle (AI Center) de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). L’AI Center est l’un des sept centres de compétences de l’EPFZ et travaille en réseau avec l’ensemble des seize facultés.

Selon un communiqué de presse de l’Office européen des brevets de mars 2023, la Suisse occupe en 2022 la septième place mondiale en termes de demandes de brevets, et la première place proportionnellement au nombre d’habitants. Depuis onze ans consécutifs, la Suisse est également en tête du Global Innovation Index. Quelle est la recette de ce succès ?

Wadsworth : La Suisse a toujours accordé une grande importance à l’éducation, et des gens du monde entier envoient depuis toujours leurs enfants dans nos écoles. L’EPFZ fait partie des meilleures universités au monde, notamment dans le domaine de l’informatique. Pour collaborer avec la recherche et les talents, des entreprises tech de premier plan s’installent depuis des décennies dans l’agglomération zurichoise. La Suisse fournit en outre le cadre optimal en suivant une approche ascendante, c’est-à-dire un processus du bas vers le haut : les projets communs entre entreprises et universités sont généralement initiés sous l’impulsion du marché, et non par l’État. Cela aboutit à des innovations dont le marché a besoin.

Behzadi : L’EPFZ est l’une des principales raisons pour lesquelles Google a choisi la Suisse comme site de recherches il y a une vingtaine d’années. Nous entretenons des échanges étroits, en particulier avec la faculté d’informatique. Beaucoup de mes collègues ont étudié à l’EPFZ, et certains quittent Google pour retourner à l’EPFZ, afin d’y poursuivre leurs recherches et d’y enseigner. La Suisse compte de nombreux spécialistes de l’IA, et la collaboration entre entreprises et chercheurs et chercheuses y est très cultivée. Par exemple, IBM a installé ses laboratoires de recherches à Rüschlikon dès 1956.

Jennifer Wadsworth, coordinatrice de recherches du Centre d'intelligence artificielle (AI Center) de l'École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), est assise sur un tabouret et travaille sur son ordinateur portable posé sur une petite table ronde.

Jennifer Wadsworth et ses collègues réunissent les meilleurs experts de différentes disciplines à l’AI Center de l’EPFZ.

Comment Google et l’AI Center de l’EPFZ collaborent-ils ?

Wadsworth : L’AI Center réunit les meilleurs experts de différentes disciplines pour travailler sur les défis majeurs comme le changement climatique, la santé mondiale et les changements démographiques. Google participe au financement de bourses d’études pour les étudiants et étudiantes, et nous prévoyons d'approfondir cette collaboration. La particularité de notre programme, c’est que les boursiers sont encadrés par deux enseignants de disciplines différentes, ainsi que par des professionnels issus des entreprises, afin de garantir une approche globale.

« Il est temps, désormais, de parler de la manière dont nous allons continuer à aborder l’IA afin que la société en profite au maximum. »

Jennifer Wadsworth, coordinatrice de recherches AI Center EPF Zurich

Beshad Behzadi, vice-président du développement de produit de Google Cloud en Suisse, se tient debout en souriant près d'une vitre à travers laquelle le soleil brille et sur laquelle son reflet apparaît. Sur un mur est accroché un grand tableau coloré.

Beshad Behzadi est vice-président de Google Cloud et travaille en Suisse. Avec son équipe, il contribue au développement de nombreuses applications de Google basées sur l’IA.

L’IA générative gagne rapidement de l’importance, pour les entreprises. Comment Google Cloud aide-t-il les entreprises à utiliser l’IA ?

Behzadi : Les entreprises comprennent que les obstacles pour se mettre à l’IA ont beaucoup diminué depuis un an. Les chatbots basés sur l’IA, comme le logiciel de Google, Bard, sont entraînés à l'aide d’une multitude de données accessibles au public sur Internet. Les entreprises peuvent faire de même avec leurs propres informations, et créer ainsi en peu de temps leur chatbot. Nous travaillons actuellement sur une sorte de « cerveau d’entreprise » capable de répondre rapidement et efficacement à toutes les questions des employés. Ce modèle est mis en place pour chaque entreprise dans l’infrastructure IA de Google Cloud. Mais les entreprises peuvent également tirer profit de l’IA en rendant les processus internes de gestion ou de commande plus efficaces, par exemple en automatisant la facturation ou la prévision de demande, ou en améliorant la fidélisation et le contact client grâce à des chatbots.

Comment les entreprises suisses utilisent-elles les modèles d’IA basés sur Google Cloud, jusqu’à présent ?

Behzadi : Le groupe de supermarchés Coop peut planifier ses besoins en denrées alimentaires avec 43 pour cent de précision en plus grâce aux modèles de prévision de Google Cloud. Coop déclare vendre mille tonnes de fruits et légumes par jour, la différence est donc considérable, sur le plan financier, mais aussi en termes de prévention du gaspillage alimentaire. Les exemples sont également nombreux dans le secteur de l’aviation, des voyages, et des finances, tout comme dans l’administration. La compagnie aérienne Swiss optimise le trafic aérien avec une plateforme de données basée sur l’IA dans Google Cloud, et réduit ainsi notamment sa consommation de carburant. En trois mois et demi, plus d’un million de francs suisses ont ainsi pu être économisés. La saisie par commande vocale, qu’on appelle l'interface conversationnelle, tout comme la création simple de contenus pour des sites Internet ou des campagnes publicitaires, a une grande importance dans toutes les industries.

Jennifer Wadsworth, coordinatrice de recherches du Centre d'intelligence artificielle (AI Center) de l'École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), et Beshad Behzadi, vice-président du développement de produit de Google Cloud en Suisse, sont assis sur deux fauteuils rouges devant une bibliothèque blanche et discutent.

« L’EPFZ est l’une des principales raisons pour lesquelles Google a choisi la Suisse comme site de recherche il y a environ vingt ans. »

Behshad Behzadi, Vice-président développement de produit Google Cloud

Large Language Models (LLMs)
Les grands modèles de langage sont des modèles d’IA générative entraînés avec d’énormes quantités de texte. Ils sont capables de générer un langage qui semble naturel en prédisant quel mot est le plus susceptible de suivre. Si l’on souhaite par exemple un complément à l’entrée « chat et », un LLM pourrait répondre « souris »
ou « chien ». Les LLM constituent la base des agents conversationnels.

Dans quelques années, s’étonnera-t-on que les requêtes administratives ou la recherche d’informations internes à l’entreprise aient autrefois été si pénibles ?

Wadsworth : C’est déjà le cas pour de nombreux autres processus. L’IA nous aide partout dans notre vie quotidienne. Je ne sais pas ce que je ferais sans Google Maps. Consulter une carte papier ? C’est impensable.

Behzadi : Les équipes de Zurich ont d’ailleurs largement contribué au développement de Google Maps. Dans certaines villes, l’application propose des vues immersives proches de l’expérience en direct, créées par l’IA à partir de milliards d’images aériennes et de Street View. L’IA est également à la base de nouvelles fonctions de Google Assistant avec des propositions de réponses automatiques, de Google Lens pour des informations sur le contenu des images, ou de Google Photos pour compléter l’environnement des images. Il suffit de revenir quelques années en arrière pour constater que ce qui nous semblait nouveau fait aujourd’hui partie de notre quotidien. Il est normal d’utiliser des applications pour consulter la météo, d’être guidés vers nos destinations et bien d’autres encore. L’IA est l’une des nombreuses technologies intégrées à tous ces outils. L’important, c’est que chacun décide de quelles fonctions il souhaite disposer.

Beshad Behzadi, vice-président du développement de produit de Google Cloud, commande une boisson au comptoir d'un café.

« Les obstacles pour se mettre à l’IA ont beaucoup diminué depuis un an », affirme Beshad Behzadi.

Wadsworth : Le point fort d’une application réussie, c’est souvent que les gens ne remarquent même pas qu’ils utilisent l’IA. Mais il ne s’agit pas seulement d’aide au quotidien et de processus plus efficaces : l’IA contribue déjà à sauver des vies humaines. Pour le dépistage du cancer du sein, par exemple, les radiologues peuvent, grâce à l’IA, détecter des anomalies beaucoup plus tôt qu’avant. Plus le traitement commence tôt, plus il est efficace.

Behzadi : Prenez le projet d’IA AlphaFold, de Google DeepMind, qui peut prédire en quelques minutes la structure et la fonction des quelques 200 millions de protéines. Cela correspond à 400 millions d’années de recherche. Ces connaissances peuvent notamment servir à diagnostiquer des maladies ou à développer de nouveaux médicaments. C’est pourquoi nous voulons continuer à réfléchir, avec nos partenaires de recherche comme l’EPF, à la manière dont l’IA peut être utile à la science.

48 pour cent

des gens sont favorables aux outils d’IA qui les aident à prendre des décisions plus respectueuses de l’environnement.

Source : Economic Impact Report

400 millions

d’années de recherche ont été évitées à la science grâce au modèle d’IA AlphaFold pour cartographier les 200 millions de protéines.

Source : AlphaFold

L’IA aide à relever les défis sociétaux

Photos : Marvin Zilm (6), Google (3), Theasis/iStock (1)

Dans cette histoire : IA, , Recherche, Partenariats, Innovation, Suisse, Europe

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