Le zéro comme cible absolue
Le Suisse Urs Hölzle, l'un des premiers collaborateurs de Google, a une responsabilité majeure dans le fait que les centres de calcul du groupe viennent à bout de milliards de requêtes à la vitesse de la lumière. En tant que responsable de l'infrastructure technique veille depuis des décennies à ce qu'elle soit aussi toujours plus efficace sur le plan énergétique.
Temps de lecture : 7 minutes
Internet était encore un endroit assez gérable, lorsque Urs Hölzle a visité pour la première fois le cœur technique de Google. C’était en février 1999, l’un des créateurs de Google, Larry Page, avait invité Hölzle dans un centre de calcul de Santa Clara en Californie qui proposait des espaces à louer aux entreprises Internet. eBay, la maison de ventes aux enchères en ligne, faisait partie des entreprises qui avaient placé leurs serveurs dans le hangar, tout comme aussi le moteur de recherche sur Internet Alta Vista – et Google, justement. Dans le compartiment de la start-up fondée quelques mois auparavant, l’encombrement était de mise : 30 ordinateurs empilés sur 2,5 mètres carrés. Sur la plupart des serveurs était déposé l’index des pages Internet du jeune moteur de recherche, le Crawler fonctionnait sur les autres, il lisait et indexait les sites sur Internet. Hölzle se souvient de sa visite : « La salle était très chaotique et si petite que l’on ne pouvait pas vraiment rentrer dedans ».
Toutefois, ce Suisse d’origine avait accepté à l’époque un travail chez Google. Une décision qui n’avait rien d’évident étant donné que Hölzle était déjà professeur de science informatique à l’université de Santa Barbara. Chez Google, c’était clair, il gagnerait moins. Mais Urs Hölzle utilisait déjà lui-même ce nouveau moteur de recherche et il était persuadé, comme l’étaient aussi de nombreux informaticiens sur la côte Ouest des USA, qu’il était supérieur aux moteurs existants. En plus, la vision de Larry Page et de Sergey Brin de rendre facilement accessible à tous le savoir du monde entier lui plaisait. Et c’est ainsi qu’Urs Hölzle est devenu l’employé numéro 8 de la start-up Google et qu’il a directement emmené le numéro 9 avec lui : c’est à cause de son chien Yoshka, un Leonberg, que Google est jusqu’à aujourd’hui une entreprise accueillante pour les chiens.
Comme développeur en chef, Hölzle - qui avait à l’époque 35 ans - a depuis le début travaillé à la création d’une infrastructure compétente pouvant répondre à l’utilisation constamment croissante du moteur de recherche. Dans les premières années, tous les lundis, il apprenait s’il avait réussi ou non : nombreuses étaient les personnes à cette époque qui n’avaient pas encore Internet ; une fois arrivées au bureau, elles tapaient dans la fenêtre de recherche toutes les questions qui s’étaient accumulées pendant la fin de semaine. Et chaque lundi, le nombre de questions augmentait de 5 à 10%.
« La plus grande résistance est souvent la persuasion que quelque chose est impossible. »
Urs Hölzle
Outre les nombreuses exigences techniques et dès la phase précoce, la durabilité faisait aussi partie des sujets préférés des créateurs de Google, Larry Page et Sergey Brin. Hölzle s’était engagé déjà dans sa jeunesse en Suisse pour le WWF, une organisation de protection de la nature. Lorsque l’équipe s’est établie dans ses premiers propres bureaux, l’accent a été mis sur des composants et des moquettes respectueux de l’environnement. Quelques temps après, c’est la consommation en énergie des serveurs qui est entrée dans leur collimateur. « C’était aussi une question d’argent à l’époque », explique Hölzle, « car le courant et le refroidissement entraînaient de grands frais ». Plus l’infrastructure technique grandissait, plus l’efficacité énergétique des centres de données gagnait en importance pour Google. Petit à petit, l’entreprise a commencé à développer ses propres solutions moins coûteuses – tout d’abord pour les ordinateurs dans les centres de données, ensuite pour les centres de données complets que Google ne louait plus à partir de 2004, mais avait elle-même construit.
« Les possibilités d’économies étaient énormes, car des dizaines d’années durant, l’accent n’était mis que sur la fonctionnalité des ordinateurs et des centres de calcul et non sur leur efficacité », indique Urs Hölzle. Seulement voilà, ni lui ni encore l’entreprise ne se sont contentés de ces premiers succès. L’une des missions les plus importantes d’Urs Hölzle reste, aujourd’hui encore pour ce Senior Vice President for Technical Infrastructure, de rendre encore plus efficaces les centres de calcul dans les 22 sites désormais répartis dans le monde entier. Avec succès : les systèmes de Google fonctionnent aujourd’hui en moyenne avec le double d’efficacité énergétique que celle d’un centre de données typique comparable. Et Google génère une puissance de traitement sept fois plus élevée qu’il y a cinq ans avec la même quantité de courant.
Cependant : il est clair que Google continue à consommer du courant en grande quantité, quelle que soit l’efficacité énergétique de son infrastructure. En 2019, cela donnait 12 200 gigawattheures en tout, ce qui correspond à plus de quatre fois la consommation de Zurich qui s’élevait à 2874 gigawattheures la même année. Raison pour laquelle Google a tôt commencé à prendre des contre-mesures. Google a été la première grande entreprise à devenir neutre en CO2 en 2007 en calculant ses émissions, en les réduisant et en les compensant par divers projets de protection du climat.
« À l’aide de l’intelligence artificielle, nous avons réussi à réduire encore l’énergie de refroidissement dans nos centres de données de 30 à 40%. »
Urs Hölzle
Depuis 2017, Google achète de l’énergie renouvelable à hauteur de ses besoins complets en courant. Rien qu’en Europe, l’entreprise veut d’ici 2025, investir deux milliards d’Euros dans des projets de génération d’énergie exempte de CO2 et dans des infrastructures durables. Il n’est toutefois pas encore possible de faire fonctionner chaque centre de calcul à tout moment grâce à une énergie exempte de CO2 entre autres aussi puisque le vent et le soleil ne sont pas constamment disponibles. Toutefois, tout le courant conventionnel encore nécessaire est compensé par Google en produisant de l’énergie renouvelable supplémentaire. « D’ici 2030, nous voulons faire fonctionner tous les centres de calcul grâce à des sources d’énergie renouvelables, à tout moment », déclare Hölzle en ayant à l’esprit la cible jusqu’ici la plus ambitionnée de Google du point de vue de l’environnement. Si nous y arrivons, toute recherche sur Google sera exempte de CO2, tout comme aussi chaque gmail envoyé ou chaque vidéo visionnée sur YouTube – et ce, à tout moment et non comme jusque-là seulement dans le bilan annuel. Actuellement, cinq centres de calcul Google fonctionnent déjà pendant 90% de leur temps sans CO2. « Notre ’cible du zéro CO2 à tout moment du jour et de la nuit’ est aussi ambitieuse que l’alunissage, la construction d’un ordinateur quantique ou le développement d’une voiture autonome », insiste le chef de Google Sundar Pichai dans un article de blog relatif à la journée de la Terre, en avril 2021.
Pour Urs Hölzle aussi, il est clair que cette tâche est difficile. Hölzle l’avoue : « Il serait exagéré de dire que nous savions exactement la manière dont nous pourrions y arriver ». Néanmoins, il pense que ce but est réaliste et mise – comme toujours dans sa carrière – sur le progrès technique. De toutes façons, le vrai but dépasse de loin le simple but de faire de Google le premier groupe exempt de CO2. « La plus grande résistance est souvent la persuasion que quelque chose est impossible », d’après Hölzle. « Raison pour laquelle nous voulons montrer aux autres entreprises qu’il est possible, à peu de frais, de se contenter uniquement d’énergies renouvelables. » Le rôle de pionnier est l’une des voies que Google veut prendre pour faire avancer la durabilité au-delà de sa propre entreprise.
Une autre voie est celle de ses propres produits. Urs Hölzle argumente : « Rien que maintenant, d’énormes quantités de CO2 sont économisées uniquement grâce à la description de la route à prendre dans Google Maps qui empêche nombre d’automobilistes de se perdre. A l’avenir, Google souhaite élargir son portfolio de manière à aider un milliard d’utilisateurs et d’utilisatrices à vivre plus durablement d’ici 2022. Exemple : Google Maps ne montre pas uniquement la route la plus courte et la plus rapide, mais aussi celle dont l’empreinte CO2 est moindre. »
Urs Hölzle est persuadé aussi que les expériences et progrès intensifs que Google a faits depuis 1999 avec ses centres de calcul peuvent encore dévoiler de grands potentiels. Il explique : « À l’aide de l’intelligence artificielle, nous avons réussi à réduire encore l’énergie de refroidissement dans nos centres de données de 30 à 40%. » Le système de commande qui réagit individuellement par rapport aux exigences du bâtiment en question grâce à l’apprentissage machine a entretemps été testé sur des bâtiments administratifs et sera bientôt mis à disposition d’autres bâtiments. Pour Urs Hölzle, la technologie est aussi un exemple d’effet positif au total de la numérisation sur le climat. « Rien que cette chose pourrait économiser plus d’énergie que tout ce qu’Internet consomme. »
Des pionniers durables : les centres de calcul européens
Google exploite cinq centres de calcul en Europe, le plus moderne jusqu’ici a été achevé fin 2020 au Danemark, au bout de deux ans de construction. Cette installation fonctionne depuis son premier jour au moins 90% du temps avec de l’énergie exempte de CO2 puisque Google a investi en plus, pendant sa construction, dans cinq parcs solaires au Danemark capables de fournir en tout jusqu’à 160 mégawatts de courant vert lorsque les conditions le permettent. L’efficacité énergétique est également ciblée par les autres centres de calcul européens : le centre d’Eemshaven, aux Pays-Bas, a été le premier centre à compenser à 100% sa consommation en énergie depuis le début par des énergies renouvelables. Lorsque le site belge de Saint-Ghislain a été mis en service en 2010, il était le premier des centres de calcul de Google dans le monde à se passer entièrement de refroidissement. À la place, ce sont des eaux usées recyclées issues de l’égout industriel des environs qui servent à refroidir les serveurs. Le système de refroidissement du centre de calcul d’Hamina, en Finlande, à son tour, est alimenté en eau prélevée dans le golfe finlandais.
Photos : Winni Wintermeyer, Google ; capture d’écran : Google Maps