Recherche talents du numérique
Devant la façade de Simplon, école qui forme au numérique des personnes en recherche d’emploi et en reconversion, dans le XXe arrondissement de Paris, une quinzaine de jeunes apprenants profitent de leur quart d’heure de soleil. Ils sont âgés de 18 à 24 ans, sont tous demandeurs d’emploi, et commencent à parler en “html”, en “javascript” ou en “code CSS”, la langue des ordinateurs. « Aujourd’hui, on découvre Git et GitHub, explique Rebecca Kaci, 23 ans, l’une des étudiantes. Ce sont des outils qui permettent de travailler en groupe sur du développement Web, mais c’est encore un peu flou pour moi. »
Il y a 5 semaines, quand elle a intégré la formation Artis, axée sur la découverte des métiers numériques et l’initiation à la programmation informatique, la jeune Francilienne n’avait aucune connaissance technique en informatique. Aujourd’hui, elle s’apprête à livrer son premier site Internet, et valider ainsi sa formation chez Simplon. « J’ai obtenu mon diplôme en communication culturelle en 2020. Autant dire que cela n’était pas la meilleure année pour rechercher un emploi dans le secteur », concède-t-elle. Son mémoire de fin d’études portait sur la numérisation du monde de la culture, alors Rebecca se met en quête d’une formation dans le domaine informatique. « La plupart des formations coûtent très cher et durent plusieurs mois. Je voulais surtout voir si les métiers du numérique pouvaient me plaire », explique l’étudiante, qui tombe rapidement sur les formations Artis, proposées par Simplon. En 7 semaines de 35 heures, les étudiants y obtiennent une certification, premier pas vers la professionnalisation.
Aujourd’hui, en dépit de la crise sanitaire et de son impact sur l’emploi, la direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques (Dares), indique qu’à l’horizon 2022, 191 000 nouveaux emplois seront à pourvoir du fait de la numérisation des métiers. Pour autant, selon une étude du cabinet Michael Page, près de 8 entreprises sur 10 éprouvent des difficultés à trouver des experts dans les métiers du numérique. Un phénomène paradoxal qu’analyse Frédéric Bardeau, à la tête de Simplon : « C’est tout simplement un problème d’offre et de demande. Les besoins des entreprises ont été démultipliés par la transformation numérique, mais l’offre de formation n’a pas suivi. »
L'école de la deuxième chance
En 2013, Simplon naît avec un objectif, ouvrir les métiers du numérique à ceux qui en sont généralement exclus : les femmes, les personnes en situation précaire ou en échec scolaire. « On travaille avec les missions locales, Pôle emploi et les structures de proximité, ce sont eux qui dirigent les gens vers nos formations », détaille Marina von Rosenschild, 38 ans, cheffe de projet chez Simplon, chargée des formations accélérées Artis. Réservées aux demandeurs d’emploi, ces formations sont gratuites. Simplon en propose aujourd’hui plus de 250, touchant de 4 000 à 5 000 apprenants par an. « Dans le cas des formations Artis, le but est de créer une promo très hétérogène, pour favoriser les interactions, poursuit Marina. On veut qu’une élève qui sorte de Normale Sup puisse être amenée à travailler en groupe avec une personne en décrochage scolaire. »
C’est le cas de Thibault Bouchillou. Originaire de Seine-et-Marne, le camarade de Rebecca n’aurait jamais envisagé une carrière dans le développement Web. « J’étais en échec scolaire. J’ai obtenu mon brevet des collèges et j’ai abandonné mes études après avoir été orienté en seconde commerce. Ça ne me plaisait pas. » Interne dans un Epide (un centre pour l’insertion par l’emploi pour les jeunes déscolarisés), le jeune homme de 21 ans évolue dans un environnement très encadré. C’est sa conseillère au sein de l’établissement qui l’oriente vers la formation Simplon. « Je m'imaginais que le numérique n’était pas fait pour moi. J’avais l’impression qu’il fallait avoir fait des études supérieures », s’étonne Thibault, qui, une fois la certification Simplon obtenue, souhaiterait entamer une formation dans la maintenance informatique.
« Sur le plan pédagogique, on fait en sorte que les bénéficiaires soient acteurs de leur formation, détaille Jonathan Blanc, 33 ans, formateur chez Simplon. Beaucoup de nos élèves étaient en rupture avec le système scolaire. La manière d’enseigner classique, bien souvent, ils la rejettent. Ici, on essaie de les faire travailler en autonomie au maximum. S’ils ont un problème, ils le règlent entre eux, le professeur est le dernier recours. Quand on me pose une question, la plupart du temps, je réponds : “Demande à Google” », sourit-il.
Code de filles
En complément de l’accompagnement des jeunes se pose également la question de la diversité de genre. Marina reprend : « Les professionnels du numérique, ce sont à 70 % des hommes, qui ont souvent la quarantaine et qui sont en CDI. Aujourd’hui, le numérique explose, il y a de l’embauche et c’est donc un super levier pour agir en faveur de la diversité. » Même son de cloche chez Bastien Masse, coordinateur de l’association Class’Code, qui dispense des “Mooc” (massive open online course, en français “formation en ligne ouverte à tous”, ndlr) sur le numérique ou encore l’intelligence artificielle à l’intention des enseignants, en partenariat avec Simplon notamment. « Il y a un problème de parité dans le domaine, ne serait-ce que dans la représentation. Quand une majorité d’hommes travaillent sur les IA par exemple, on peut se retrouver avec des biais de programmation sexistes. »
Un constat partagé également par Dipty Chander, présidente de l’association E-mma, qui œuvre depuis 2013 pour favoriser l’inclusion dans les métiers du numérique. « Quand Internet s’est créé, beaucoup de spécialistes en informatique étaient des femmes. Dans les années 1980, le secteur a commencé à générer de l’argent et les hommes les ont remplacées. Aujourd’hui, on trouve beaucoup de femmes dans les secteurs qui utilisent le numérique, mais très peu dans l’aspect technique du développement Web et du code. » Grâce à un réseau de formation réparti sur 16 antennes, E-mma forme des centaines de jeunes en simultané, enfants et adolescents, en France et à l’étranger. « En 2020, en réponse à la crise sanitaire, on a lancé des formations à distance, #CodezChezVous, à destination des 8-16 ans. En 2 mois de confinement, on a formé plus de 2 000 enfants en ligne, dont 44 % de jeunes filles. »
Des formations consacrées aux femmes ont également vu le jour. Chez Simplon, le programme “Hackeuses”, destiné aux femmes de plus de 18 ans en recherche d’emploi, est dispensé dans l’atelier du XXe arrondissement. D’autres, comme “Girls Can Code”, proposent des formations gratuites au langage Python, à destination d’étudiantes de moins de 18 ans. Nina Sutre, ancienne bénéficiaire, témoigne : « En 2017, quand j’ai participé à “Girls Can Code”, j’avais déjà en tête de faire une prépa scientifique après la terminale, et je dirais que cette formation a définitivement confirmé mon choix. »
En quelques semaines, elle a pu concevoir un jeu vidéo, et surtout comprendre que l’informatique n’était pas un truc « de garçons » : « Au cours de la formation, on rencontre des informaticiennes qui racontent leur parcours et les difficultés qu’elles ont connues. Je pense que c’est très important pour pouvoir se projeter en tant que femme. Quand j’étais en prépa, je n’ai eu qu’une seule professeure. Je crois qu’il est plus facile de s’intéresser à un domaine lorsqu’on peut s’identifier à la personne qui nous l’enseigne », estime l’ancienne élève.
Les questions de représentation jouent un rôle important dans la construction des stéréotypes. « Il faut renforcer l’idée que l’informatique concerne tous les élèves, et non certains d’entre eux, estime Gilles Dowek, chercheur à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique et professeur d’informatique à l’École normale supérieure de Paris-Saclay. Pour cela, nous devons, par exemple commencer l’enseignement de l’informatique plus tôt, avant que les stéréotypes de genre notamment ne soient trop étouffants. » « Pour devenir un bon développeur Web, il faut surtout avoir un esprit logique, reprend Frédéric Bardeau. Un tourneur-fraiseur n’est peut-être pas mathématicien, mais il a des compétences logiques qui peuvent lui permettre d’être un bon codeur. »
Encore faut-il que ces profils soient repérés et bien orientés. Bastien Masse de Class’Code, qui propose des ressources pédagogiques libres et gratuites à plus de 80 000 éducateurs, explique : « Notre rôle, c’est de démythifier le secteur du numérique : comprendre comment fonctionne un ordinateur, le langage qu’il utilise. Nous vivons dans une société où on utilise le numérique sans comprendre parfois comment il fonctionne. Nous ne cherchons pas à former des générations d’informaticiens : le numérique touche désormais tous les secteurs d’activité, il est devenu une base de connaissances et de compétences à acquérir pour mieux s’adapter à l’évolution du monde. Les enseignants doivent pouvoir s’en emparer pour l’enseigner à leurs élèves. » Avec E-mma, Dipty Chander dresse un constat similaire : « Les parents et les enseignants ne connaissent pas ces métiers, donc ils n’encouragent pas les enfants à poursuivre des études en lien avec l’informatique. Un médecin sauve des vies, mais on peut aussi le faire en administrant un centre de données médicales. »
*Source : Observatoire des métiers du futur.
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