“On ne peut pas créer une grande entreprise cyber sans avoir le soutien de tout l’écosystème”

Il y a quelques années, Yosra Jarraya, devenue directrice d’un groupe international après avoir exercé en tant qu’avocate d’affaires, s’est retrouvée face à un casse-tête. Devant elle, un afflux de données sensibles à manipuler et une question : comment réussir à assurer de la meilleure des manières leur confidentialité ? En mars 2021, elle cofonde Astran, la première entreprise française qui a créé une alternative au chiffrement en utilisant la fragmentation des données, développant ainsi une nouvelle approche de la sécurité et de la confidentialité dans le cloud.

De pionnier à référence ?

Deux ans plus tard, la startup a déjà une dizaine de clients et garde une vision très claire : « La cybersécurité ne devrait pas se faire au détriment de la simplicité et de l’accélération des affaires. Souvent, les solutions de cybersécurité enlèvent des possibilités business. Notre pari était de construire une solution particulièrement simple à utiliser et qui fonctionne extrêmement bien avec les acteurs existants du marché. » Une fois les verrous technologiques levés après de nombreux tests sur des données sensibles et les brevets déposés, la seconde étape a ensuite été de convaincre un écosystème qui était initialement sceptique. « Nous avons dû expliquer avec notre bâton de pèlerin, jusqu’à ce qu’on nous croie, qu’on teste et que l’on voie que ça marche », resitue Yosra Jarraya. Aujourd’hui, c’est tout l’écosystème, qui peut bénéficier de cette innovation technologique : « Souvent, vous avez la recherche académique d’un côté, les entreprises de l’autre. Chez Astran, nous travaillons avec plusieurs laboratoires et avec cette idée fixe en tête : en tant que startup, nous investissons uniquement là où il y a de la valeur pour nos clients ».

Cybersécurité et solidarité

Deux ans après la création de l’entreprise, Yosra Jarraya constate les mutations du secteur : « Il y a une certaine effervescence, avec par exemple le Campus Cyber à La Défense, des initiatives similaires en régions, et une communication publique autour de la priorité donnée à la cybersécurité, aux données des entreprises et des particuliers ». Et de poursuivre : « Je suis certaine que ça va continuer dans cette voie de l’accélération, de l’adoption des innovations ». Pour Astran, la suite se fera en partenariat avec Google. La jeune entreprise a été sélectionnée il y a quelques mois parmi 15 startups européennes de cybersécurité par Google For Startups afin d’intégrer la Growth Academy Cybersecurity. Une « chance », selon Yosra Jarraya, qui a permis de donner encore plus de « visibilité » à la jeune pousse du cloud. « Nous avons vu, que ce soit lors du campus de Google à Madrid ou à Paris, que l’idée était de travailler ensemble, complète l’entrepreneuse. Nous avons des problématiques communes, donc il y a une bienveillance porteuse pour notre société. C’est précieux, car selon moi, on ne peut pas réussir à créer une grande entreprise en partant de zéro sans avoir le soutien de tout l’écosystème. »

Un écosystème dans lequel Yosra détonne quelque peu. En effet, elle fait partie des 11 % de femmes du secteur, un chiffre qui constitue « un biais absolument incroyable », selon l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI). La présidente d’Astran avoue en avoir fait un atout. « Aujourd’hui, je suis le rendez-vous original de la journée et on se souvient de moi, précisément parce que je suis une femme. On ne s’attend pas à ce que ce soit une femme qui entre dans le bureau pour représenter une entreprise de cybersécurité, donc ça marque. Il y a énormément de chemin à parcourir, encore, et j’ai décidé de ne pas m’arrêter dessus mais plutôt de m’en servir pour contribuer à donner une nouvelle image du cloud et de la cyber. »

Levée de fonds de 5 millions de dollars

Aujourd’hui, la société, qui compte une équipe paritaire d’une vingtaine de personnes, poursuit sa croissance : Astran a levé 5 millions de dollars en 2023. À terme, la startup souhaite investir le marché américain, qui accueille 40 % des entreprises du secteur de la cybersécurité, afin, également, de montrer que l’Europe peut encore avoir un rôle majeur à jouer géopolitiquement. Yosra Jarraya complète : « Notre ambition est de changer technologiquement la donne à l’échelle mondiale. Il faudra plusieurs années, mais ça doit être la vision politique du secteur ».