Antibiogo, une appli révolutionnaire pour la santé
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pointe la résistance croissante de micro-organismes aux antibiotiques comme l’un des grands défis sanitaires du XXIe siècle. Selon l’institution, l’antibiorésistance deviendrait, d’ici 2050, la première cause de mortalité au monde devant les cancers. L’application Antibiogo, développée par La Fondation Médecins Sans Frontières, permet de lutter contre la résistance aux antibiotiques avec l’aide de l’IA et pourrait bien changer la donne.
« Tu es sous antibiotique ? Non ? Donc t’es pas malade. » Un spot publicitaire et un slogan – « Les antibiotiques, c’est pas automatique » – qui restent dans les mémoires. Plus de 20 ans après cette campagne de l’Assurance maladie, on se souvient encore de la formule. Mais pas vraiment de la leçon. La preuve : la résistance aux antibiotiques a causé 1,27 million de décès en 2019, selon l’OMS. Pire : sans action concrète, la planète risque 10 millions de morts par an, à partir de 2050. L’utilisation raisonnée des antibiotiques est donc primordiale et nécessite une évaluation robuste de la sensibilité des bactéries aux antibiotiques. Et si les pays en développement sont les plus touchés, la France n’est pas épargnée par la résistance aux antibiotiques. Pour une raison simple : en 2020, elle était le quatrième pays le plus consommateur d’antibiotiques en Europe, selon Santé publique France. Ces chiffres, la Dr Nada Malou les connaît par coeur. En tant que responsable du projet Antibiogo de La Fondation MSF, c’est aussi elle qui propose avec son équipe une partie de la solution.
Une première expérience au Mali
À 26 ans, alors qu’elle avait fini un doctorat portant sur les maladies infectieuses et tropicales, Nada Malou reprend ses études. La jeune femme veut mettre à profit ses connaissances au service de l’action humanitaire. « J’ai été recrutée par MSF à ce moment-là et j’ai commencé par être responsable laboratoire sur la charge virale du VIH », raconte-t-elle. Revenant à son « premier amour », la microbiologie, Nada Malou s’envole au Mali pour un projet pédiatrique. « C’est une région où ils ont le moins accès aux diagnostics médicaux : les médecins donnent souvent des antibiotiques à l’aveugle, ce qui aggrave le phénomène, note Nada Malou. C’est là que j’ai compris que le test diagnostique était simple à introduire, mais que cela nécessitait une approche pluridisciplinaire. »
La naissance d’Antibiogo
Après un passage en Jordanie, Nada Malou prend la direction du Yémen. Là, l’urgence est plutôt d’éviter les amputations des victimes des conflits environnants. Dans ce pays déjà ravagé par la guerre, une idée germe. « Je ne pouvais pas rester très longtemps sur place, il n’y avait pas de microbiologiste à cause du conflit et il était impossible d’avoir des résultats de qualité rapidement dans ces conditions. » Après l’ouverture d’un laboratoire, Nada Malou rentre à Paris où, tous les matins, elle consulte les résultats envoyés et les valide tous avant de les renvoyer. « Ce n’était pas une solution viable pour le long terme. » C’est au cours d’une discussion avec Amine Madoui, un ami bio-informaticien, que l’idée va germer. « Je lui ai dit que j’avais besoin d’un outil d'interprétation des résultats, pas d’outils hypersophistiqués. Et nous avons réfléchi ensemble autour de ça. » Cette réflexion donnera naissance au concept d’Antibiogo, un dispositif médical d’aide au diagnostic qui vise à aider les médecins à prescrire les antibiotiques les plus efficaces à leurs patientes et patients. L’idée est simple : avec un téléphone, il suffit de prendre une photo d’un antibiogramme – le test qui détermine la sensibilité des bactéries aux différents antibiotiques – et l’application va détecter et analyser les données. Une intelligence artificielle va, elle aussi, lire ces résultats : « L’IA contient un système expert qui a intégré toutes les règles d’interprétation et est capable de déterminer le traitement qui va marcher ou non chez la patiente ou le patient ».
Réduire les inégalités d’accès aux soins
Pour développer le projet, Nada Malou et Amine Madoui se rapprochent de La Fondation MSF. À la tête de l’organisation, Clara Nordon est persuadée que l’IA a un rôle à jouer dans le domaine de la santé pour les pays à revenu faible et intermédiaire : « De nombreux dispositifs liés à l’IA sont déjà en développement ou sur le marché. Certains voient dans l’IA et la santé un moyen de réduire les délais et les coûts, d’accroître l’efficience des systèmes de santé. Mais pour nous, l’IA permet d’envisager un premier accès à des diagnostics qui peuvent sauver des vies ». Avec Antibiogo, La Fondation MSF voit l’opportunité de commencer à combler une partie des inégalités entre les pays à haut revenu et les pays à ressources limitées : la mise en place d’outils peu coûteux, facilement déployables et néanmoins à même de sauver des vies, dans des contextes reculés. « Contrairement aux pays à haut revenu, il n’y a pas forcément sur nos terrains d’intervention de matériel de pointe comme les derniers microscopes électroniques, des IRM, ou de personnel suffisamment qualifié. Avec le travail de La Fondation sur l’IA, les équipes peuvent concentrer leurs efforts sur l’interprétation d’images que l’on peut collecter sur place, et compenser ce manque. »
Cette idée permet en 2019 à Antibiogo, alors en développement, de remporter parmi 2 602 candidats le premier prix du Google.org AI Impact Challenge. À la clé, une dotation de 1,3 million de dollars et l’appui du programme Google Fellowship – qui met en relation des employées et des employés de Google avec des organisations à but non lucratif sur des projets techniques à plein temps. Six ingénieurs Google rejoignent ainsi l’équipe à plein temps pendant 6 mois.
Jakub Adámek est l’un d’eux. Donateur de longue date et admiratif de l’action de Médecins sans Frontières, cet ingénieur logiciel n’hésite pas à consacrer toute son énergie au projet. « C’était l’occasion parfaite d’aider concrètement ceux qui en ont le plus besoin, raconte Jakub. Lorsque je suis arrivé, en 2020, l’application était très simple. Nous avons complètement redessiné l’interface avec des designers et changé son architecture. Nous avons également développé l’algorithme au moyen du machine learning, pour le rendre plus à même de reconnaître de nouveaux échantillons inconnus. J’ai adoré cela, au point d’y consacrer tout mon temps libre. J’ai beaucoup appris de cette collaboration. Cela m’a permis de voir une nouvelle facette de mon métier et de me rendre compte de ce que l’on pouvait apporter. » Pour un résultat à la hauteur, si l’on en croit Nada Malou : « Il y a un avant et un après leur arrivée – ce que l’on a aujourd’hui n’existerait pas sans les “Fellows”. Ils nous ont apporté leurs connaissances sur le monde du logiciel et du développement, mais aussi une vision et une perspective. Et nous, nous leur avons transmis les contraintes de l’action humanitaire ».
Pour une IA au service du réel
Déployée entre octobre et décembre 2022, Antibiogo est actuellement utilisée dans 5 pays d’Afrique et du Moyen-Orient, où environ 500 patientes et patients par mois ont déjà été traités. « On continue le développement de nouvelles fonctionnalités, en partenariat avec les “Google Fellows”, notamment un outil de formation pour les utilisatrices et utilisateurs et un autre qui participe à la surveillance mondiale de la résistance aux antibiotiques », précise Nada Malou. L’objectif : être, en 2024, disponible via le Playstore et téléchargeable pour tout laboratoire. Antiobiogo n’est pas le seul projet à bénéficier de l’IA de La Fondation MSF.
L’organisation travaille au développement d’AI4CC, une aide au dépistage du cancer du col de l’utérus au Malawi, où plus de 4 000 femmes en sont atteintes chaque année et près de 3 000 en meurent. « L’IA a souffert d’un manque de diversité dans son utilisation et ses sources de données et, à bien des égards, d’un détachement du monde réel, conclut Clara Nordon. Notre but, c’est que l’IA serve sur le terrain le plus rapidement possible. La Fondation MSF travaille avec de nombreuses parties prenantes (recherche, développement, régulation, fabricants de dispositifs médicaux) en partant des problèmes de terrain de façon à façonner un écosystème favorable dans lequel l’IA peut tenir sa promesse initiale : créer une technologie qui s’attaque aux défis mondiaux urgents en matière de santé dans le monde réel. »
*Source : publicité de l'Assurance Maladie.