“Le potentiel de transformation de l’IA est comparable à celui de la révolution industrielle“
Fin mars 2018, une stratégie nationale pour l’IA voit le jour en France. Pour l’appliquer, Guillaume Avrin a été nommé coordinateur national pour l’intelligence artificielle au début de l’année. Avec l’objectif de mobiliser tout le potentiel de transformation de cette technologie au service de l’économie et de la société.
Quel est votre rôle en tant que coordinateur national pour l’intelligence artificielle ?
Depuis janvier 2023, j’ai pour mission la coordination interministérielle de la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle (SNIA), dont la deuxième phase est dotée de 1,5 milliard d’euros au sein de France 2030. Je m’appuie, dans ce cadre, sur l’ensemble des administrations concernées, ainsi que sur les centres et laboratoires de recherche, pour structurer l’écosystème d’IA sur le long terme et à tous les stades du développement technologique : formation, R&D, applicatifs, certification, mise sur le marché et diffusion intersectorielle, soutien et encadrement du déploiement.
Quel a été votre parcours avant ce poste ?
J’étais précédemment responsable du secteur intelligence artificielle au LNE (Laboratoire national de métrologie et d’essais), où notre objectif était de nous doter d’outils pour apprécier les futurs produits avant leur mise sur le marché, en progressant sur l’évaluation de l’IA (principes méthodologiques, métriques, environnements de tests virtuels et physiques, certification volontaire et réglementaire) au même rythme que le développement de ces systèmes intelligents.
En quoi consiste la stratégie nationale en intelligence artificielle ?
La première phase de la stratégie nationale pour l’IA (2018-2022) a eu pour principal objectif de structurer l’écosystème des acteurs de la recherche en IA (Instituts 3IA, chaires IA, programmes doctoraux), en regroupant les forces, en chassant les doublons, en structurant des pôles de recherche thématiquement pertinents et assujettis à une gouvernance coordonnée. La deuxième phase a pour priorité « la diffusion de l’IA dans l’économie », et donc la mise à contribution concrète de l’IA dans notre économie et notre société. Nous activons pour cela 3 leviers : la formation, le soutien à l’offre « deep tech » et le rapprochement entre l’offre et la demande en IA. La SNIA consacre ainsi 700 millions d’euros à la formation, qui est articulée autour de 2 volets. Le premier est dédié à la formation des futurs experts et spécialistes du développement des systèmes d’IA, en licence, master et doctorat. Le second volet porte sur la formation initiale et continue des « IA+X », c’est-à-dire de personnes qui disposeront d’une double compétence, en IA et dans un autre domaine (médecine, pharmacie, droit, agroalimentaire, etc.), et qui intégreront et utiliseront l’IA dans leur métier. Concernant le soutien à l’offre « deep tech », la SNIA se concentre pour le moment sur 3 axes identifiés comme prioritaires pour la France et pour l’Europe : l’IA embarquée, l’IA frugale et l’IA de confiance. La mise en œuvre de techniques d’IA générative sera par exemple examinée dans le contexte de ces 3 priorités. En ce qui concerne le rapprochement entre l’offre et la demande, nous allons élargir le champ des acteurs mobilisés en faisant appel aux intermédiaires habituellement impliqués dans les transactions commerciales (les assureurs, les banquiers, les consultants, les organismes notifiés, les autorités notifiantes, les centres d’essais, etc.) et aux meilleurs spécialistes du secteur des sciences humaines et sociales.
1,5 Md€
Dotation de la 2e phase de la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle (SNIA) au sein de France 2030
700 M€
Montant de l’investissement de France 2030 dans la formation à l’IA
Selon vous, comment mobiliser tout le potentiel de transformation de l’IA au service de notre économie et de notre société ? Comme ce potentiel de transformation est considérable, sans exagération peut-être comparable à celui de la révolution industrielle, mais que le développement des agents de la transformation, i.-e. les produits IA matures et opérationnels, va se faire dans la durée, probablement en l’espace de quelques décennies, il faut commencer par prendre beaucoup de recul et nous interroger sur les besoins à long terme de notre économie et de notre société. Chaque « société », comme vous dites, i.-e. chaque nation, doit, sans céder au simplisme ou à la facilité, se livrer à cet examen critique d’elle-même, de son présent et de son futur et faire aujourd’hui les choix qui dessineront son avenir et détermineront son succès, sa régression ou sa stagnation. Les situations comme les réponses ne sont pas les mêmes ; celles de la France sont particulières, en général assez proches de ses partenaires européens avec lesquels elle veut continuer à piloter son destin, mais sans doute assez différentes de celles d’autres pays du monde, qui disposent de matières premières, qui n’ont pas le même rapport au travail, à l’abondance matérielle, à l’environnement, à la puissance, à la vie, à l’humain. Le pire serait de s’en tenir à une approche court-termiste, « le nez dans le guidon », se contenter de récolter les gains de l’instantané sans chercher à se projeter vers des enjeux autrement plus lourds : l’avenir de nos enfants, de la planète, du vivre ensemble, de la paix, de l’humanité. Je suis l’heureux dépositaire d’une stratégie dont l’assise est de « donner un sens à l’IA », c’est notre marque nationale, et je mets bien évidemment tout en oeuvre pour répondre à cette attente. Car si nous sommes un pays de la liberté, parfois même perçu comme de l’indiscipline, nous avons par chance l’habitude des grands chantiers et de planifier. Cette planification est du ressort final du Gouvernement, il lui revient de communiquer sur son contenu détaillé mais elle sera bien, quoi quil en soit, au service de notre économie et de notre société.