La mode parie sur l’innovation
Depuis sa création par Nathalie Dufour il y a plus de trente ans, l’Association nationale pour le développement des arts de la mode (ANDAM) récompense et soutient, à travers ses cinq prix décernés par un jury de professionnels réputés, des jeunes créateurs qui contribuent à transformer ce secteur en perpétuelle mutation. Le lauréat du prix de l’innovation 2022 des ANDAM Fashion Awards ne fait pas exception. Son nom ? Ever Dye. Une startup française qui dépollue la teinture textile.
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Par définition, la mode vit avec son temps et se laisse, elle aussi, questionner par les préoccupations sociales de son époque. Inclusivité, écoresponsabilité, transparence, autant de domaines dans lesquels les créateurs veulent trouver des solutions innovantes. Alors que cette partie du patrimoine culturel représente un enjeu économique stratégique pour la France, la question se pose : comment soutenir cette avant-garde créative dans un secteur très concurrentiel en pleine mutation ? Depuis sa création en 1989, L’ANDAM détient une partie de la réponse. C’est l’essence même de son existence, si l’on en croit Nathalie Dufour, sa fondatrice et directrice générale. « Dès le départ, nous souhaitions identifier les jeunes créateurs et les mettre en avant. À l’époque, j’avais 23 ans, j’étais stagiaire au ministère de la Culture, se souvient-elle. La mode était surtout considérée comme un patrimoine par les institutions, mais j’étais passionnée par cette effervescence autour des podiums. » Forte de ses études en management culturel, ponctuées par un cursus à l’École du Louvre, elle monte alors un projet ambitieux : l’Association nationale pour le développement des arts de la mode, dont la principale vocation sera de repérer, guider et mettre en relation les jeunes talents avec certains grands noms de l’industrie. Pour se lancer, Nathalie Dufour a également besoin d’une voix qui porte dans le milieu. Ce sera celle de Pierre Bergé, alors président du DÉFI (plateforme publique créée en 1984 afin d’accélérer la transformation des entreprises de la mode et de l’habillement françaises, ndlr), mais surtout compagnon et partenaire de toujours d’Yves Saint Laurent. « J’étais terriblement impressionnée, mais j’y suis allée au culot en lui expliquant qu’il fallait créer un lien plus direct entre l’industrie et la culture. Et je lui ai proposé de prendre la présidence de l’association, sourit Nathalie. Il a aussitôt accepté !’ »
Une interface entre la jeune création et les grands acteurs de l'industrie
En outre, elle convainc le ministère de la Culture de cofinancer (avec le DÉFI) le tout premier Prix de l’ANDAM, remporté en 1989 par le jeune créateur belge Martin Margiela, ancien assistant de Jean-Paul Gaultier, aujourd’hui à la tête de sa propre maison. « Dès la première édition, le prix fonctionnait comme une interface entre la jeune création et les grands acteurs de l’industrie, situe la fondatrice. Cela paraît naturel maintenant, mais à l’époque, les passerelles étaient rares. Sauf que les talents, eux, étaient là. Cela a donc pris tout de suite. »
Aujourd’hui, l’ANDAM décerne cinq prix et une dotation globale de 600 000 euros (contre 20 000 francs lors de la première édition). Mais ce n’est pas la seule récompense, d’autant que les grandes enseignes ont rejoint tour à tour l’aventure. Le temps d’une collaboration ou d’une boutique éphémère, parfois plus longtemps. « Nos prix accompagnent de jeunes marques et nos partenaires – des maisons de luxe, des plateformes internationales, des grands magasins étrangers, puis des entreprises de la Tech – leur donnent accès à des outils précieux pour leur développement. Chacun apporte aux nominés et aux gagnants un savoir-faire dans sa branche. Les Galeries Lafayette distribuent par exemple la collection du vainqueur. De son côté, LVMH agit en tant que mécène, alors que Google leur apporte un accompagnement numérique personnalisé. »
"Nos prix accompagnent de jeunes marques et nos partenaires leur donnent accès à des outils précieux pour leur développement."
Nathalie Dufour
Ces jeunes entités ont en effet un véritable besoin de construire leur présence en ligne pour émerger. Entre autres, Google propose donc un accès total aux programmes de formation au numérique et aux coachs des Ateliers Numériques, une formation YouTube pour construire son image de marque, des sessions dédiées au e-commerce et du mentoring. Sébastien Missoffe, vice-président et directeur général de Google France, par ailleurs membre du jury, fait également partie des dirigeants mentors. L’ANDAM fonctionne ainsi comme un véritable incubateur de talents « qui met tout en place pour accompagner des hauts potentiels vers le succès, complète Nathalie. Nous avons développé un véritable savoir-faire et tissé un réseau important qui permet d’entretenir un dialogue permanent entre créateurs, acteurs et industriels. »
Vers une mode plus durable grâce à l’innovation
Symbole de ce dialogue, l’ANDAM a mis en place depuis 2017 son Prix de l’Innovation, doté notamment à hauteur de 70 000 euros et d’un accompagnement complet de Google. Il s’adresse aux entrepreneurs et startups françaises et internationales, souhaitant développer en France des solutions créatives et innovantes dans les domaines de la conception, de la production et de la distribution. « Nous cherchons des projets réalistes, pas juste de bonnes idées, clarifie d’emblée Nathalie Dufour. C’est toujours en toile de fond, et ce prix permet d’identifier de nouveaux outils plus durables qui vont changer le paradigme de l’industrie de la mode. » Une industrie qui prend conscience de ses responsabilités et cherche à limiter son impact environnemental.
L’ANDAM a ainsi déjà récompensé des entreprises spécialisées dans des solutions de fabrication flexibles permettant de limiter les invendus, dans la production de fibres 100 % durables, ou encore dans l’upcycling (procédé de recyclage qui apporte de la valeur ajoutée à un produit de seconde main, ndlr). Dernier vainqueur en date : la startup française Ever Dye, qui apporte une solution révolutionnaire à l’un des problèmes majeurs du processus de fabrication d’un vêtement : la teinture. La formule chimique que la société a mise au point permet de teindre les vêtements cinq fois plus vite, en dépensant 15 fois moins d’énergie et en remplaçant les produits pétrochimiques par des colorants naturels fabriqués à partir de déchets végétaux et de minéraux. Tout en veillant à rester compatibles avec les infrastructures existantes des teintureries. Pour comparaison, ce procédé agit en à peine une heure et demie à température ambiante, là où les tissus sont d’ordinaire plongés une dizaine d’heures dans des autoclaves (sorte de four à vapeur) dont la température peut monter jusqu’à 130 degrés.
"Il y a une véritable prise de conscience. Le marché sait déjà qu’il ne peut plus continuer ainsi."
Ilan Palacci
Une idée brillante que l’on doit aux deux fondateurs : Amira Erokh, jeune chimiste qui a travaillé par le passé sur des textiles traités pour détruire des virus ou des résidus d’armes chimiques, et Ilan Palacci, ingénieur en génie industriel. Ce dernier constate lui aussi ce changement de paradigme évoqué par Nathalie Dufour : « Nous échangeons énormément avec les industriels. Ils sont ouverts à ce type d’innovation et nous ont très bien accueillis, parce qu’il y a chez eux une véritable prise de conscience. Le marché sait déjà qu’il ne peut plus continuer ainsi. » Pour Amira et lui, l’année 2022 sera florissante, et ils ont déjà recruté trois chercheurs supplémentaires pour les épauler. « Nous espérons lancer des tests sur les chaînes de production d’ici la fin de l’année, ajoute l’ingénieur. Ce prix va nous permettre de mieux nous insérer dans l’industrie de la mode et, avec cet écosystème mis en place autour de nous, de nous développer plus vite et pourquoi pas, de nous étendre à l’international. » Pour que la mode se vive durablement partout dans le monde.