“Le numérique nous a rapprochés du monde”

Au début des années 1990, Éric Kayser fut l’un des premiers boulangers à miser sur le retour en grâce du « pain de tradition », fabriqué à partir de farines de blés français dépourvues d’additifs et d’une recette secrète de levain maison. Trente ans plus tard, il est de nouveau précurseur, à 57 ans, mais sur YouTube cette fois-ci, où sa chaîne « Maison Kayser Academy » séduit les apprentis boulangers, qu’ils soient amateurs ou en voie de professionnalisation.

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Vous êtes issu d’une famille d’artisans boulangers, vous avez fait vos classes chez les Compagnons du devoir, et votre entreprise est implantée dans une trentaine de pays sur les cinq continents. Qu’est-ce que l’excellence à la française signifie pour vous ?

Si vous posez un petit drapeau français sur vos produits en Inde ou aux États-Unis, les locaux viennent vous voir parce qu’ils aiment la France et qu’ils savent que c’est un pays où l’on mange bien. Je le constate par exemple en Asie, où nos produits ont un franc succès : au Japon, en Indonésie, aux Philippines, à Singapour, au Cambodge… Rayonner à l’étranger est d’ailleurs un des axes majeurs de la politique des gouvernements depuis une dizaine d’années. Nous sommes les dignes représentants de la « qualité à la française » à travers le monde. Il est essentiel que nous formions des jeunes et des moins jeunes à nos métiers et que nous veillions à ce qu’ils s’y épanouissent.

Les restrictions liées à la Covid-19 ont-elles été l’élément déclencheur de la transition numérique opérée par la Maison Kayser ?

Nous avions réfléchi à mettre tout cela en place juste avant la pandémie de Covid-19. Nous savions qu’il fallait de toute façon s’engager dans cette voie-là, parce que les gens avaient envie d’apprendre différemment. Ouvrir un livre de cuisine, c’est bien, mais cela manque parfois d’interactions et d’illustrations. Avec YouTube, ceux qui veulent tester une recette peuvent aujourd’hui regarder comment je fais en direct. C’est dans l’air du temps : quand vous faites quelque chose, vous le filmez. Nous faisons la même chose, mais de manière un peu plus professionnelle. Et puis, je travaille dans une cuisine qui ressemble à celle que tout le monde a chez soi, c’est plus sympathique et fédérateur.

En quoi l’évolution des technologies modifie-t-elle les habitudes de consommation des gens ?

Je me rappelle ma grand-mère, dont le grand plaisir, à 85 ans, était de recevoir mes cartes postales du monde avec le plus d’images possible. Aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir voyager sans nous déplacer. On voit tout cela sur un écran de télévision ou de téléphone, avec le son et les couleurs. Si bien que lorsque les gens voient apparaître un produit en Asie, ils veulent tout de suite le goûter en France. C’est un peu ce que nous faisons depuis vingt-cinq ans. Chaque mois, nous préparons un pain qui est le reflet d’un voyage que j’ai pu faire, en Europe, en Asie, en Amérique du Sud. Nous avons toujours voulu faire découvrir de nouvelles saveurs à nos clients, les faire voyager. Et, quelque part, en permettant de le décliner à l’infini sur différentes plateformes, le numérique donne une seconde vie à ce concept.

"Grâce aux commentaires des abonnés, nous améliorons notre contenu et sommes à même de traiter des sujets qui leur plaisent."

Éric Kayser

Quand et pourquoi avez-vous créé la chaîne YouTube Maison Kayser Academy ?

La chaîne a été créée en 2018, avec l’objectif de présenter notre métier à un maximum de personnes et, à titre personnel, de me remettre en question tous les jours. Grâce aux commentaires des abonnés, nous améliorons notre contenu et sommes à même de traiter des sujets qui leur plaisent. Par exemple, nos abonnés voulaient un épisode sur le croissant, c’était compliqué pour tout un tas de raisons techniques, mais nous l’avons fait et cela a beaucoup plu. Ma vocation a toujours été d’apprendre, de former, de transmettre, donc je trouvais que Maison Kayser Academy était une suite logique.

Comment avez-vous vécu le succès de vos vidéos pendant les différents confinements ?

C’était surprenant, certaines vidéos ont été vues plusieurs centaines de milliers de fois. J’ai toujours en tête celle sur le levain, l’exercice le plus compliqué à faire sur le plan intellectuel. C’était vraiment difficile, une recette à la fois très simple à réaliser et difficile à expliquer. Et c’est, entre guillemets, la vidéo qui a fait décoller la chaîne. Car pendant le premier confinement, des centaines de milliers de personnes à travers le monde faisaient leur pain au levain à la maison.

"Ma vocation a toujours été d’apprendre, de former, de transmettre, donc je trouvais que "Maison Kayser Academy" était une suite logique."

Éric Kayser

Après avoir été formateur pendant dix ans à l’Institut national de la boulangerie pâtisserie (INBP), vous avez lancé le premier CAP boulangerie (certificat d’aptitude professionnelle, ndlr) en ligne, en 2020. Pourquoi avoir fait ce choix de la transmission en ligne et quelles conclusions en avez-vous tirées ?

Il y a peu d’écoles de boulangerie et de pâtisserie en France, encore moins dans le monde, alors la façon la plus accessible de transmettre était le numérique. J’ai donc demandé que l’on nous prête les locaux de l’INBP et nous nous y sommes installés pendant plusieurs jours avec des caméramans et des boulangers pour tourner les séquences vidéo. Aujourd’hui, nous avons mis en place une véritable corrélation entre ce CAP en ligne et notre chaîne YouTube : les apprentis, âgés de 18 à 60 ans, apprennent la théorie via nos formations en ligne, révisent la pratique grâce à Maison Kayser Academy et viennent ensuite en stage dans nos boulangeries pour parfaire leur savoir et passer le diplôme. Cela leur permet surtout de conserver leur activité pendant la formation. D’autant que les confinements ont décuplé les envies de reconversion.

Quel avenir pour la chaîne Maison Kayser Academy et pour votre entreprise ?

À court terme, la sortie de la saison 4 de la Maison Kayser Academy va m’occuper une partie de l’été. Nous sortons le teaser de l’épisode à venir le 1er du mois et l’épisode intégral le 15. Avec, cette fois, des invités comme Mercotte, Giorgiana Viou, Vincent Guerlais ou encore Pierre Hermé. L’an dernier, nous avions fait venir Christophe Michalak, Philippe Conticini, Juan Arbelaez, Denny Imbroisi, Gilles et Nicolas Vérot. Des grands noms de la gastronomie française. Cela permet aussi de travailler avec des personnes qui viennent d’autres métiers artisanaux que la boulangerie, de les mettre en valeur. En parallèle, nous allons ouvrir de nouvelles boutiques cet automne dans des lieux surprenants du globe, où on ne nous attend pas forcément. Au Panama, en Mongolie ou au Burkina Faso notamment. Nos vidéos ont d’ailleurs cartonné en Afrique francophone ! Nous nous sommes rapprochés du monde grâce à YouTube, et cela fait désormais partie de notre devoir de transmission.

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