Former pour rapprocher
La transition numérique s’invite dans tous les domaines de la vie quotidienne. Pourtant, 13 millions de Françaises et de Français se déclarent encore éloignés du numérique. L’âge, le milieu social ou le lieu de vie peuvent contribuer à cet éloignement. Pour y remédier, des associations agissent au quotidien dans le but de favoriser leur montée en compétence. Avec un objectif bien précis : que le numérique n’ait plus de secrets pour personne.
« Ne pas savoir utiliser le numérique, aujourd’hui, c’est un peu comme ne pas savoir lire et écrire hier. » Guylaine Brohan, qui fait ce constat, est à la tête du premier mouvement familial associatif de France. Depuis près de 80 ans, Familles Rurales agit dans les zones rurales et périurbaines pour soutenir les familles, rompre leur isolement et améliorer leur qualité de vie. Et si le numérique n’est qu’une des facettes de l’éventail de solutions mises en œuvre par Familles Rurales, il n’en est pas moins devenu incontournable. « Même quand ils utilisent parfaitement les réseaux sociaux, les jeunes sont parfois dans l’incapacité de rédiger un CV ou de déclarer leurs impôts. Certains parents se sentent perdus face aux outils scolaires numériques de leurs enfants. Quant aux personnes âgées, nos plus nombreux demandeurs, elles sont très conscientes de l’importance de ces outils dans leur vie quotidienne. »
Margaux Joyen-Dufau, directrice des Astroliens, jeune association parisienne qui accompagne les seniors dans leur usage du numérique, a pu faire ce constat sur le terrain lors d’un passage dans un EHPAD : « Réaliser ses démarches en ligne ou envoyer des e-mails aide les seniors à conserver une autonomie. Je me suis donc demandé pourquoi il n’y avait pas une plus grande attention portée au numérique ». Bonne question, lorsque 67 % des plus de 75 ans se sentent dépassés par le numérique (2). D’autant plus que les seniors ne sont pas les seuls touchés : les revenus se révèlent également un facteur déterminant dans l’éloignement du numérique. Selon une étude récente de l’INSEE, parmi les 10 % de ménages les plus modestes de France, seuls 68 % disposaient d’un ordinateur et 75 % d’un accès à Internet (3). Alors que – toujours selon l’INSEE –, la dématérialisation de l’administration s’accélère, le risque d’éloignement s’accroît pour ces populations peu équipées et/ou mal formées.
Habituée à évoluer dans le milieu associatif, Monia Maganda a découvert l’univers du numérique et son pouvoir d’inclusion sociale en participant à un programme “Hackeuses” dédié aux femmes sur la découverte de l’écosystème du numérique. Elle s’est donné pour objectif de réduire cet éloignement du numérique en Seine-Saint-Denis, où 90 000 foyers touchent le RSA (4). « Les démarches administratives, le monde du travail, la santé, même la manière d’échanger avec nos proches ont changé. Tout le monde doit monter en compétence, faire une mise à jour », observe la directrice de l’association Cité Tech, qu’elle a fondée en 2018.
Le défi de l’inclusion passe par la formation
Les 3 représentantes de ces associations – toutes lauréates du Google.org Impact Challenge – s’accordent sur la nécessité de former ces publics éloignés du numérique. Chacune le fait à sa manière, avec ses propres solutions, mais toutes ont à cœur d’aller à leur rencontre pour leur transmettre ces compétences clés. Familles Rurales a ainsi pu implanter des points de médiation numérique sur tout le territoire, avec l’aide supplémentaire provenant de la dotation. « Nous avons ouvert, en 2021, 150 points de médiation numérique, répartis dans 46 départements. Au total, quelque 15 000 jeunes et moins jeunes ont ainsi pu monter en compétence sur le numérique. Notre objectif pour 2023 est d’élargir à 55 départements la couverture des points de médiation et de former 30 000 apprenants », annonce sa présidente, Guylaine Brohan. Car pour elle, le défi de l’inclusion passe par une formation la plus large possible au numérique : « Une personne formée, c’est une personne en capacité de dédramatiser la pratique du numérique, mais aussi d’en former une autre. Notre ambition, au fond, c’est de créer une chaîne d’apprentissage solidaire, qui puisse familiariser 100 % des familles des territoires ruraux et périurbains au numérique. »
Les Astroliens, l’association de Margaux Joyen-Dufau, a fait le choix pour les seniors d’ateliers personnalisés animés par des bénévoles. « Cet accompagnement commence par un diagnostic individuel, puis s’adapte aux besoins et envies de chacun », explique la directrice. Apprentissage du fonctionnement des messageries instantanées pour communiquer avec ses proches, démarches administratives, installation d’une box Internet à la maison, utilisation d’applications de bridge, achat de billets de train ou prise de rendez-vous sur des plateformes d’e-santé, tout y passe. À un certain âge, l’apprentissage de l’e-santé revêt une importance particulière : « Nous avons organisé des sessions découverte sur le dossier médical partagé d’Ameli (ndlr : le site officiel de l’Assurance maladie), ainsi qu’une sensibilisation sur les recherches de symptômes sur Internet, pour identifier les sites frauduleux et aiguiser leur sens critique face à des contenus pas toujours contrôlés ». Chaque année, plus de 200 seniors bénéficient de cet accompagnement.
Du côté de Cité Tech, la solution itinérante a été retenue. En Seine-Saint-Denis, on aperçoit parfois un engin aux faux airs de food truck : c’est le Fablab Mobile Tour, le camion de l’association qui va à la rencontre de celles et ceux qui en ont besoin. Par sa capacité à s’intégrer à l’environnement, le Fablab suscite la confiance là où il fait escale. Équipée d’imprimantes 3D et proposant des ateliers d’acculturation numérique et d’aide à la recherche d’emploi, Cité Tech s’adresse par ce biais aux adultes comme aux jeunes adolescents : « On leur apprend à se créer une adresse mail, à utiliser un serveur en ligne, à candidater sur LinkedIn, à organiser une visioconférence… Souvent, les ados maîtrisent les réseaux sociaux. Alors, on leur apprend, dans leur recherche de stage ou d’alternance, à valoriser cette pratique qui est aussi un gage de créativité ».
De meilleurs outils à imaginer
Monia Maganda aimerait bien retourner le problème. Elle appelle de ses vœux des outils mieux pensés, qui facilitent l’usage du numérique à celles et ceux qui n’y sont pas familiers. En d’autres termes, plutôt que de former des personnes à l’utilisation des outils, pourquoi ne pas adapter ces derniers aux pratiques des utilisateurs et utilisatrices ? Guylaine Brohan, présidente de Familles Rurales, la rejoint sur ce point : « Un travail d’adaptation des outils doit être mené, sous peine de décrochage, en particulier, des personnes âgées ». Alors, pour l’avenir, Monia Maganda rêve de grandes assises du numérique qui mesureraient le véritable impact de la mutation numérique. Pour que plus personne n’en soit éloigné.